Pour ce nouvel épisode de « Dans l’œil de Yoko », nous nous intéressons au premier point de passage de la maison, le passage « presque » obligatoire qu’est l’entrée … cet espace qui donne accès aux autres espaces, comme préambule identitaire.  

L’assimilation de la maison au corps humain n’est pas récente. Depuis toujours, on associe de manière inconsciente la porte d’entrée à une bouche. D’ailleurs les enfants ne s’y trompent pas. Dans leur dessin, très souvent la façade principale ressemble étrangement à un visage : la porte d’entrée faisant office de bouche.

J’ai évoqué précédemment que les pièces de la maison nous permettent de développer notre intelligence sensorielle et kinesthésique. Dans le cas de l’entrée, si elle s’apparente à la cavité buccale, ce sont principalement l’odorat, la vue, et surtout le sens intéroceptif qui vont primer. Le corps va capter une information fine de l’ambiance de la maison. Il faut imaginer que l’entrée donne le tempo, le goût (et pas au sens gustatif !) de l’espace habité. C’est une zone tampon entre ce qui vient de l’extérieur et ce que l’on (re)trouve à l’intérieur.

En entrant on y dépose notre journée, notre fatigue, même ce qui parfois ne nous appartient pas, pour se reconnecter à notre intimité. Cette zone de transition est nécessaire également lorsqu’on accueille des amis, des artisans, ou encore le postier, toute personne extérieure au foyer. C’est une zone de flux énergétiques importante. Un subtil mélange entre ce qui vous appartient et ce qui vous arrive de l’extérieur. Votre entrée envoie un message clair : quelles sont les limites que j’autorise ? Et quelle est l’image de moi que je renvoie de l’atmosphère de mon foyer ?

Pour aller plus loin, l’entrée est un espace d’entre deux, d’attente, d’émergence où la transformation se prépare : celle de passer du dedans au dehors et inversement.  Il y a un changement d’état d’être. Un mouvement qui doit ralentir.

Faire une lecture de l’entrée

Peut-on faire une lecture unique de l’entrée ?

Heureusement non ! Il est nécessaire de prendre en compte les paramètres biographiques des habitants. Créer des typologies serait certes intéressant (et j’en proposerai une dans la saison 2 sur les types de maisons) mais assez limitant comme seul prisme de compréhension.

Je préfère vous offrir des pistes de réflexion autour d’exemples précis rencontrés dans mon expérience. Chaque maison a ses problématiques d’agencement en fonction de ses habitants. Gardez à l’esprit que votre maison vous a choisi autant que vous l’avez choisi. C’est une rencontre élective. Si vous êtes amené à vendre votre bien, la personne qui vous succèdera aura possiblement un autre rapport au même espace, d’autres besoins, d’autres limites. Une nouvelle décoration s’installera.

Lorsque la maison n’a pas d’entrée en tant que telle, indépendamment de la question pratique (éventuellement corrigé dans le projet d’aménagement), voici les points de vigilance que je serai amenés à avoir :

  • Est-ce pesant dans l’harmonie générale ?  Quelles relations entretiennent les habitants avec l’extérieur ? Ont-t-ils besoin de créer des limites claires dans leurs interactions ?  
  • La maison est-elle une auberge espagnole où prime la vie sociale sur la vie familiale ? Est-ce problématique ou recherché ? Entre-t-on dans le cœur de la maison sans protocole ?

Une autre piste si l’entrée se fait directement dans le salon : La maison est-elle une maison vitrine ? Est-elle la démonstration de la réussite sociale de la famille ? L’accueil se fait-il facilement ou n’est-il qu’une « façade » ? Est-ce que l’articulation avec le salon est fluide ? Trouve-t-on le repos dans le salon ? Ou au contraire a-t-on l’impression d’être en permanence sur le départ ?

Vous comprendrez à ce stade qu’il est difficile de considérer la pièce en question sans l’identité et le ressentis de ses habitants et son articulation avec le reste de la maison. Car d’autres lectures sont susceptibles d’apparaitre.

Si la maison possède une entrée très contenante :

  • Des portes fermées de toute part : je pourrais m’interroger sur la capacité des habitants à se livrer ou à se laisser aller dans la relation. Les sphères familiales / intimes sont- elles très/trop contenues ?  L’idée même d’ouvrir sa maison à la dimension sociale et professionnelle est-elle vécue comme une contrainte ? Notamment dans le cadre du télétravail. J’ai été appelé chez un client qui m’évoquait ses difficultés à télétravailler. Avant de commencer, j’ai pris le pouls de son entrée.
  • Si l’entrée est bien délimitée, fluide dans la déambulation vers les pièces de vie, qu’elle possède certes des portes mais qu’elles peuvent selon les envies et les besoins se fermer ou demeurer ouvertes, je parierai sur la flexibilité des habitants à se mouvoir entre le dedans et le dehors : ce que j’appelle le flexihousing.

Dans une entrée aux contours non tangibles, où tout est suggéré, délimité par la couleur, un claustra, un meuble, ou encore un tapis, et offre une ouverture sur le reste de la maison , mon sentiment premier serait sans doute qu’est présente une forme d’agilité dans les relations familiales et sociales. L’imagination et la créativité familiale sont mises en avant. La matérialisation offertes par des murs ne semble plus nécessaire. Elle est perceptible autrement. Elle trouve des moyens détournés pour jouer son rôle.

Lorsqu’une entrée est très structurée, organisée autour de la symétrie, majestueuse, solennelle, je garderai à l’esprit que les habitants sont peut-être dans le contrôle, dans un positionnement social qui ne permet pas le lacher-prise. La question à se poser est toujours, est-ce voulu ?  Subi ? Problématique ?

Si l’entrée est lumineuse et colorée, elle embarquera un flux joyeux et vivant dans la maison et dans la manière d’habiter l’espace global.

J’ai été appelé une fois pour une entrée grande mais vide, inhabitée : cela posait un problème à mon client. Il aurait voulu « effacer cette entrée qui ne servait à rien».  Il m’a fallu redoubler d’énergie pour saisir ses attentes. Puis j’ai découvert quelques temps après qu’il utilisait deux noms selon ses interlocuteurs, qu’il avait en somme deux identités. Donc impossible pour lui de choisir comment rentrer chez lui.

Au contraire une entrée désordonnée ne laissera pas la possibilité de se poser. Si de nombreuses paires de chaussures jonchent le sol, l’information véhiculée suggère implicitement que le repos auquel vous êtes en droit d’aspirer n’est pas de autorisé. Quelle que soit la manière dont vous vivez les choses, garder à l’esprit que le corps n’est pas invité au repos ni à la flânerie. C’est aussi une première image confuse qui s’offre de sa propre organisation familiale ou personnelle, avec un fort sentiment d’être débordé, voire dépassé.  

La question de la double entrée se pose parfois également. Dans certaine maison, l’entrée officielle est très peu utilisée au profit d’une entrée secondaire, soit plus cachée, plus confidentielle, soit plus élégante parce que traversant un jardin, une terrasse arborée.

Je me souviens de clients qui n’utilisaient pas leur entrée principale. Ils avaient choisi d’entrer par le sous-sol /garage, encombré et sombre. Il se trouvait que le propriétaire portait dans son histoire familiale son origine juive. Sa famille avait vécu cachée pendant la guerre 39-45 pour éviter le pire. Il avait gardé les traces dans son corps d’une hypervigilence. Il s’était créé une entrée secondaire, cachée, en mémoire à cet instinct de survie. De son côté il insistait sur le fait que c’était beaucoup plus pratique pour lui et en même temps cherchait à investir son entrée principale inutilisée. Comment dépasser un pan de son histoire, sans l’oublier et réinvestir sa propre identité. Quand pourrait-il enfin s’autoriser à passer par la porte principale ?  

Lorsque j’entame une séance de domo-coaching, il est important pour moi de prendre en compte le vécu subjectif et psycho-généalogique de mes clients en appui à mon propre ressenti. Est-ce que je ressens une ambiance ouverte, fluide, déliée ou au contraire, restreinte ou inconfortable dans les attitudes et comportements associés à la demande de modification de l’habitat de mes clients. Que suggère leur demande ?

Comme vous l’aurez compris, chaque expérience demeure unique. Et beaucoup de demandes sont souvent implicites.

En résumé, quelle que soit votre entrée, qu’elle soit trop grande ou minuscule, sombre, en couloir, ou juste imaginaire, n’oubliez pas d’y apporter un soin particulier. Evidemment les éléments décoratifs (lumière, assise, mobilier, couleur, rangement sur mesure) vous seront une aide précieuse pour vous permettre d’entrer chez vous dans les meilleures conditions. L’entrée renvoie à la fois à votre capacité d’accueil et à comment vous vous sentez accueilli dans votre propre demeure, c’est-à-dire l’estime que vous vous portez.

Dans le prochain épisode de « Dans l’œil de Yoko », la cuisine sera à l’honneur.

A très vite ! Des questions ? Des interactions ? Je suis à votre écoute.

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