Pour cette seconde partie de l’épisode consacré à la chambre nous allons nous intéresser à la chambre de l’enfant au fil de ses transformations vers l’âge adulte : bébé, enfant, adolescent. Entre refuge, espace de développement créatif et de construction de soi, quelle lecture pouvons-nous en faire ?
Une histoire liée à un statut
La chambre d’enfant est le résultat d’une conquête depuis un demi-siècle. L’enfant bénéficie désormais de droits et d’un statut sociétal. Aujourd’hui la chambre de l’enfant implique que l’on respecte sa liberté d’action et que l’adulte lui garantit un espace sécurisé pour son développement à venir.
Bébé, une petite chambre est souvent suffisante. Il est même très fréquent de voir le lit du bébé séjourner dans la chambre parentale temporairement. Pour des questions de praticité, d’allaitement, de quiétude, le nourrisson requiert le soin rapproché de ses parents. Recréer le confort fœtal dans l’espace parentale vise à offrir un sentiment d’apaisement tant pour le nourrisson que pour les parents. Cela passe par du mobilier compatible, comme le lit bébé avec des barreaux sécurisant adaptés à sa petite taille, des mobiles qu’il peut voir dans sa position horizontale ou encore des objets qui vont l’aider à developper sa motricité.
Cette période peut durer jusqu’à ce que l’enfant sorte de l’enceinte du lit bébé pour intégrer un lit en 75 ou 90 et un espace bien à lui. Rester sur le long terme dans l’espace parental est un risque pour l’enfant comme pour le parent. Il peut donner lieu à un état de fusion et mettre à mal l’équilibre de la chambre parentale.
Lorsque le bébé / l’enfant intègre sa future chambre, l’espace se veut pluriel : sommeil, création, jeux, lecture, invitation aux rêves, plus tard travail … Evidemment, l’enfant va circuler dans la maison avec ses objets. Il va semer, chercher à investir les autres pièces de la maison pour pouvoir mieux comprendre son propre espace. Si l’enfant investit le salon dans un premier temps ce n’est pas un problème. Le parent pourra lui expliquer au fil du temps comment il doit réintégrer, ranger, occuper son cocon afin de ne pas déborder voire surinvestir l’espace social et familial. Ça peut être l’occasion d’un jeu. L’enfant-roi se déploiera dans tous les espaces de la maison. Aux parents d’imposer leurs limites afin que chacun puisse y trouver son compte.
Anatomie de la chambre d’enfant
La chambre d’enfant peut être associée au bassin et aux hanches.
Pourquoi ? A vrai dire, nous l’avons évoqué pour la chambre parentale, le bassin assure le lien entre l’ancrage (assuré par les membres inférieurs) et le déploiement et la capacité à accueillir le monde extérieur (assuré par les membres supérieurs) dans un espace sécurisé (le corps lui-même)
Le bassin assure la verticalité de ce corps. Il est le garant de son propre équilibre.
C’est aussi un espace intracorporel de gestation. Nous pouvons dire que la chambre de l’enfant a ce même rôle. Développement de l’enfant, de ses projets, de sa créativité. Les hanches quant à elles représentent la capacité de l’enfant à aller de l’avant en lien avec ce qui lui sert d’appui. Ces deux éléments anatomiques régissent l’autonomie dans l’action et le lieu d’incarnation d’une énergie pour aller de l’avant.
La chambre doit pouvoir procurer un cadre sécurisé à l’enfant qui lui permet à la fois de se mettre en action par le jeu, le travail, la lecture, le dessin, la musique, etc… mais aussi d’avancer et de construire ses rêves et ses envies.
Il y a quelques années, lors d’une visite conseil, je fus appelée pour l’aménagement d’un salon chez un couple, parents d’une petite fille.
J’avais été surprise de voir que c’est la fillette qui m’avait accueilli et fait « visiter sa maison ». Ses parents étaient restés en arrière-plan dans la première partie de nos échanges, laissant l’enfant occuper tout l’espace. Entre l’attitude des parents, et celui de la jeune fille, je fus confortée dès le premier coup d’œil jeté au salon. Il avait perdu son identité initiale : celui de poumon de la maison. La présence de la fillette dans la pièce se faisait fortement sentir. Entre coloriages éparpillés sur la table manger, quantité de jouets au pied de la télévision, peluches sur le canapé, pile de puzzle, et la bibliothèque elle-même remplie de livres pour enfant, le salon était devenu tout simplement une extension de la chambre de la fillette.
Alors que je demandais à voir la chambre de l’enfant pour remédier à cela, je constatais qu’elle bénéficiait d’une chambre assez spacieuse qui méritait d’être mieux exploitée pour lui offrir le cadre sécurisant du bassin. Elle l’avait exporté inconsciemment dans l’espace familial. Je proposais de revoir également la disposition de sa chambre pour lui recréer les spots qu’elle avait investis naturellement à l’extérieur de sa chambre : coin lecture confortable, bibliothèque, tableau pour dessiner, lit gigogne pour recevoir ses amis… viendraient offrir à la jeune fille tout le confort pour laisser libre cours à sa créativité dans un cadre joli et adapté. C’était l’occasion rêvée pour cette enfant unique de saisir qu’elle n’était pas seule au monde, d’autant que ses parents attendaient un heureux évènement.
C’est en découvrant la chambre parentale que mon sentiment fut plus que conforté : sur le mur faisant face au lit parental, une vingtaine de dessins s’étalaient.
Inviter le couple à sortir les dessins de la chambre, pour retrouver un véritable cocon d’intimité, se fit dans un seul but : que chaque chambre offre ce à quoi elle était destinée et veille à équilibrer la bulle de chacun de ses habitants.
La chambre d’ado
Une transition opère à l’adolescence. La porte se ferme … L’ado construit une bulle plus étanche , plus secrète. Il travaille à l’architecture de son identité de jeune adulte. Les enfants aiment aménager leur territoire. L’enfermement dans la chambre à l’adolescence est nécessaire et amène le jeune à une solitude qu’il doit apprivoiser et gagner avant d’en bénéficier totalement à l’âge adulte.
Le territoire sacré de l’adolescent est autant en chantier que son corps. Il va se synchroniser avec le temps. Inutile de vous affoler, Parents. Alors que l’horloge biologique de nos chers ados est en chantier, leur chambre l’est également. N’oubliez pas que l’espace habité est un miroir de notre intériorité.
Comme nous l’explique très bien Nathalie Levisalles dans son livre « l’Ado (et le bonobo), Essai sur un âge impossible », l’adolescent n’est bien que dans la position de relâchement 127 degrés. Quèsaco ? Cette position a été savamment calculée par la Nasa pour mettre au point les sièges d’astronautes qui se devaient d’être proche de la gravité 0. Cette posture de relâchement complet requiert un angle de 127 degrés entre le siège et le dossier et 127 degrés entre les cuisses et les jambes. Les compagnies aériennes se sont elles-mêmes appropriées cette position pour leur première classe !
Et bien figurez-vous, que cette position naturelle correspond également à celle d’un adolescent affalé sur son canapé avec des coussins sous les coudes. Et pour cause. L’ado subit un pic de croissance d’environ 25 cm en quelques mois (selon les spécimens !). Ce qui a pour conséquence de lui procurer des tensions physiologiques telles que tout l’équilibre subtil de son corps en est déboussolé. Il fait preuve de maladresse et d’un manque de coordination. L’accordage entre son système nerveux et son geste final va nécessiter un peu de temps.
Finalement cette position « 127 degrés » se retrouve également dans l’éparpillement des affaires dans la chambre. Les vêtements eux même perdent de leur verticalité dans l’armoire, pour se disperser et s’accumuler sur le parquet. Les livres, les objets en tout genre jonchent le lit et ses abords quand il ne s’agit pas de nourriture avariée. Tout se déconstruit dans le corps de l’adolescent, quitte à créer un chaos global, pour trouver in fine une nouvelle harmonie. Il en va de même pour la chambre. Rien de dramatique, rassurez-vous !
La chambre de l’ado est à limage de ce corps en chantier. Le bassin et les hanches sont là pour garantir un espace dans lequel il élabore son futur et nouvel espace intérieur d’adulte en construction. L’adolescent traverse une phase d’appropriation par une déconstruction complète de ses schémas avant de retrouver un équilibre structurel. L’ordre de la chambre finira par revenir.
Parents, réfreinez donc vos pulsions d’aménagement, de rangement, surtout quand vos adolescents ne sont pas là. Ils pourraient vivre cela comme une violation de leur intimité. Laissez-les habiter leurs espaces et en faire des lieux de construction pour eux-mêmes.
Chambres de fratries : entre complicité et rivalité
Pour les enfants qui partagent leur chambre, ce qui arrive très fréquemment dans les grandes villes, il arrive un âge où l’enfant / l’adolescent a besoin de son intimité. Il va chercher à étendre son territoire. Et alors que tout se passait bien avec ses frères et sœurs, l’espace de la chambrée devient étouffant, un espace à fuir. Ainsi l’enfant peut avoir envie de déserter la maison au profit de l’extérieur car il ne trouve pas de lieu ressource lorsqu’il rentre chez lui. Le partage de chambre peut avoir à ce moment ses limites car il pourra être vécu comme une négation de sa propre intimité.
Alors que le bonheur d’être parent s’accompagne souvent de bonne volonté pour faire de la chambre de leur progéniture des espaces déco à part entière attachés à vos préférences, ils sont souvent en décalage avec les besoins intrinsèques de l’enfant. Il est important de garder à l’esprit qu’au fil du temps, la chambre d’enfant va se vider de ce qui vient des parents, pour se structurer différemment à l’image de son jeune occupant, adulte en devenir. Laisser la chambre vivre ces changements, c’est aider son enfant à s’approprier et construire son propre espace intérieur.
Dans le prochain épisode, nous parlerons de la chambre que l’on réserve aux visiteurs ponctuels et qui par ailleurs est un indicateur social : la chambre d’amis